literature

Minuit a la fourche du gibet

Deviation Actions

Parchemin's avatar
By
Published:
244 Views

Literature Text

Cachée sous le gibet, Ethel attendait. L'église du village avait sonné onze coups, déjà, les nuages d'orages avaient occulté les yeux du ciel et au-dessus d'elle, le pendu oscillait doucement, poussé par un vent qui n'était pas de ce monde.
Elle attendait depuis le milieu de ce chaud après-midi d'été, cachée entre les planches, oscillant entre une torpeur molle et d'intenses moments de conscience. Les paroles de la vieille Givoire lui raisonnaient aux oreilles, tantôt la berçant plus sûrement que le  bourdonnement des insectes, tantôt la jetant dans une sombre excitation.
« Tout le monde pense que pour pratiquer la magie noire, il suffit d'un balai, d'un chat et d'un nez crochu, si possible avec une verrue. Mais rien n'est plus faux. Ce n'est que du décor, de l'artifice. Ce qui fait la magie noire, la vraie, celle qui permet d'enfermer des dieux dans des bouteilles et de subjuguer la lune, c'est le Diable.
Et pas n'importe quel diable, s'il vous plaît. C'est le diable que l'on croise à la pleine lune, au carrefour où les hérétiques sont pendus. Celui qui vient avec son grand sac noir collecter les âmes des damnés. On le reconnaît à ses trois yeux, et aussi à ses doigts, long et fin, pour pouvoir pénétrer dans les mourants et en extraire le dernier souffle de vie. Il a une bonne aussi, au milieu du dos. Il ne faudra pas te tromper.
D'abord passera le diable qui a une bosse à  l'épaule. Il cultive le mal dans un jardin fait de noirceur. Donne lui la mandragore générée par la semence du pendu, et il te laissera en paix. Il n'a que peu d'intérêt pour ce qui est déjà sorti de terre.
Ensuite viendra le Diable qui collecte les pêchés. Il a une bosse sur le côté, là où naissait son deuxième tronc, mais on dit qu'un jour, il s'est disputé avec lui-même, et sa seconde moitié est partie, emportant ses plus grands mystères. Depuis, il arpente le monde et aux corps les secrets qu'ils ont gardé par-delà la tombe. Certains ont bien essayé de les cracher, pour ne pas qu'il s'en empare, mais il ne va nulle part sans son balais. Il époussète leurs petites veuleries du gibet et les met dans son grand sac en espérant un jour trouver ce qu'il s'est lui-même volé. Celui-là ne te fera aucun mal si tu lui offre une de ces petites vénièlerie que tu gardes pour toi. Ou un bâton de réglisse, car pour un diable, il a la dent bien sucré.
Mais le troisième à venir. Ah, voilà la mauvaise carne. Et c'est à lui que tu devras te mesurer, si tu décides de poursuivre ta folle entreprise. Lui ne se satisfait pas de quelques paroles, ou d'un brin de végétal. Non. Lui vient pour ton âme. Tu devras attendre bien cachée qu'il détache le pendu. Puis, lorsqu'il sera penché au-dessus de lui, occupé à rechercher dans les entrailles de son corps les derniers relents de vie, tu devras vite passer derrière lui, et sauter sur sa bosse. Ensuite… Eh bien si tu vas jusque-là, ne vient plus ensuite prier, Dieu ne t'aura plus en sa sainte garde. Mais parfois, parfois, dit-on, il vaut mieux affronter un Diable furieux qu'un dieu muet. Au moins, on sait ce qu'il a derrière la tête ».
Et les paroles tournaient autour d'Ethel, puis puissantes que le chant des bêtes de la nuit, plus profondes que le vent, qui soufflait maintenant en tempête autour du gibet, sans qu'aucune branche ne grince, si ce n'était celle à laquelle se balançait le corps. Et au loin, l'église du village sonna minuit. Et le premier diable vint, puis le second, et Ethel leur donna ce qu'ils voulaient, et ils s'en repartirent sans la toucher.
Ethel sentit la peur monter en elle. La nuit était maintenant profonde. Une obscurité liquide et mouvante, comme une potion, un filtre fait entièrement de ténèbre qui paralyserait ses sens et son cœur. Mais la vieille Givoire l'avait prévenue de ça aussi, et elle était préparée. Si les lumières de la nature lui faisaient défaut, Ethel utiliserait celles de sa haine. Elle couvait, tel un brasier, dans sa poitrine. Elle irradiait le monde alentour de chaudes couleurs de destructions. Et Ethel n'avait pas besoin de plus.
Les pas du second diable n'avaient pas plus tôt disparu derrière la tempête qu'il arriva.
Il était difforme jusque dans sa démarche, et terrible rien qu'à l'odeur. Il puait le désepoir, et la colère, et la joie surie, et le désir impie. Ses mains touchait le sol tant elles étaient longues, et chacun de ses doigts se terminait par un ongle long et fin, recouvert d'une fine pellicule carmine, même au plus profond des ténèbres. Il n'avait pas de menton, ou si peu, et le reste de son visage disparaissait dans sa barbe, à l'exception de deux grand dents, fermement plantées dans la mâchoire inférieure, qui menaçaient le ciel.  
Il traîna ses pieds jusqu'au gibet, le faisant ployer sous son poids. Ethel l'entendit descendre le corps, puis fouailler en lui, se riant des gousses d'ail et autres charmes que le malheureux avait glissé dans ses poches pour se protéger. Les amulettes et autres médailles de saints volaient de part et d'autre des planches.
Ethel saisit sa chance. Un bond, et elle était sur l'estrade du gibet. Un second, elle était sur la bosse, ses mains fermement enfoncées dans la chevelure du diable.
Il hurla, cria, jura, cracha et rua. Abandonnant sa proie, il fila au cœur de la tempête, agitant la tête pour déloger ce soudain poids.
Mais Ethel ne céda pas. Même quand il transforma ses cheveux en fils d'acier qui lui transpercèrent les mains, ni quand il plongea du haut d'une falaise qui n'existait sur aucune carte connue d'elle.
Elle s'accrochait avec toute sa haine et  toute sa rancœur. Elle liait ses jambes autour de sa bosse avec chaque fibre de mépris qu'elle pouvait trouver en elle.
Car elle savait. La Vieille Givoire l'avait prévenu. Ce qui fait la magie, ce qui fait la sorcière. Ce ne sont pas les accessoires, les invocations nocturnes, les potions ou les malédictions obtuses claironnées à plein poumons. Non. Ce qui vous apprend à changer l'eau en pisse et à maudire d'un regard, ce sont les secrets que le diable ne peut pas s'empêcher de murmurer pendant qu'il essaie de se défaire de votre étreinte. Et Ethel voulait sa vengeance, plus que tout au monde.
Elle ne lâcherait pas le diable, même après que le matin soit venu, même quand il l'emmènerait au-delà de tout retour possible. Elle se l'était promis. Elle le materait et le malmènerai jusqu'à obtenir tous ses secrets. Jusqu'à devenir elle-même diablesse et que le monde ploie devant elle.
Ils allaient tous payer.
Le résulta d'un Lundi Live.
Thème : Magie noire à Salem.
Défis : un balais, une potion, une gousse d'ail.
1h de temps.
© 2012 - 2024 Parchemin
Comments10
Join the community to add your comment. Already a deviant? Log In
Pierrot-Pelgrim's avatar
Excellente histoire, ce qui m'épatera toujours chez toi c'est la facilité avec laquelle tu crées tout un univers autour des tes personnages, même pour un texte de50 lignes. Très, très balèze.