Le gout des cendres P 9

Ils marchèrent quelques minutes en silence. Martin ne pouvait s'empêcher de jeter des regards inquiets à droite et à gauche. Les hurlements des loups le faisaient sursauter à chaque fois qu'il s'élevaient, sans parler des mille et uns bruits étranges véhiculés par le vent. Une des jumelles finit par se retourner. Celle qui portait un sablier.
- Inutile de vous alarmer, dit-elle d'un ton calme, les loups ne nous feront rien ce soir. A cette heure, ils sont sûrement déjà sortis des terres mortes en quête de nourriture.
Martin hocha la tête, assez peu rassuré. Il risqua tout de même un « Merci », à peine étranglé.
A quelques pas devant eux, Engerrant se retourna « Vous avez le loisir de discuter, mais avancez s'il vous plaît, je crains bien moins les loups que mon grand père s'il arrive à nous rattraper.
La jumelle ne portant pas bouclier sautilla souplement jusqu'à lui.
- Voilà un sage conseil, mais je ne saurais que trop vous mettre en garde. Il ne fait pas bon errer au hasard, par ici.
- Croyez le ou non, je sais exactement où je vous emmène, sourit Enguerrand, tout en continuant sa marche.
- Voilà qui est intéressant, pépia la jeune femme. Et serait-il impoli de vous demandez d'où vous tenez ces explications ? Comprenez que ne soyons quelque peu méfiantes. Enguerrant se permit un petit rire
- Ma foi, si j'étais opposé à vos desseins, ainsi que vous semblez l'imaginer, vous pensez bien que je ne vous aurai pas aussi bien accueillies.
- Moi qui croyais que vous agissiez en homme du monde !
- On peut être homme du monde et intéressé, j'en ai peur Le sourire d'Enguerrand s'agrandit. Vous m'avez fourni une diversion bien plus belle que ce que j'avais préparé. Même si cela nous a mis un peu en retard par rapport à mes prévisions.
La jeune femme le regarda longuement, avant d'ajouter.
- Vous êtes un homme intéressant, Monseigneur Enguerrand des quatres matins, mais je ne peux pas dire que je vous trouve sympathique. J'espère avoir l'occasion d'en savoir davantage sur vous.
- Plus vite que vous ne le pensez, répondit Enguerrand avec hochement de tête amusé. Mais je ne suis pas sûr que vous puissiez me qualifier de sympathique après cela.
- Nous verrons, fit la jeune femme avant de pirouetter pour aller retrouver sa soeur.
Le silence retomba pour quelques temps. Martin faisait difficilement le tri entre ses idées. Il lui apparaissait manifeste qu'Enguerrand était l'instiguateur de leur fuite dans les terres mortes, et donc du mot qu'il avait trouvé dans son sac. Mais pourquoi donc ? Il aurait dû au contraire être celui le plus farouche opposant à toute personne qui voulait pénétrer dans les terres mortes. Cette attitude manquait incroyablement de logique. Il aurait été tenté de dire que les sorcières l'avaient possédé, mais Martin avait reçu le mot bien avant qu'elles n'apparaissent, et de toute façon, Martin n'était même pas sûr que cette pratique magique existait en dehors des livres. Le souvenir de Brise se moquant de son attrait pour les romans policiers à dix sous brilla quelques brefs instants en lui, puis disparu, couvert par les cris de Zeke, toujours aussi furieux dès que Martin évoquait Brise, et d'autant plus contrarié que ses cris ne créaient pas en Martin la gêne mêlée de terreur dont il avait l'habitude. Martin avait en effet d'autres soucis : il venait de commencer à tousser. Sa poitrine s'était tout d'un coupe changée en un brasier ardent, et chaque goulée d'air qu'il avalait, en plus d'être incroyablement douloureuse, attisait encore davantage le feu en lui.