La tete dans le puit P5

A peine avait-il posé ses pieds nus au fond du puits que les restes de la sirène s’échappèrent du manteau où il les tenait serrés. La queue s’enroula étroitement autour de ses jambes, l’empêchant de bouger, tandis que le corps flasque se jetait dans l’eau, fouaillant la glaise de ses mains fines.
Un cri d’effroi s’échappa des lèvres de l’enfant. Hélas, il n’atteignit jamais la margelle du puits. Il rebondit aveuglément sur les pierres des parois  avant de s’évanouir, happé par le silence vorace.

Après un temps infini, le buste de la sirène extirpa triomphalement sa tête de l’eau. Elle la plaça sur son cou blanchi par le temps et la terre puis, en un mouvement liquide, elle sauta sur le dos du garçon. Alors, elle réunit son corps et sa queue écailleuse et fut entière à nouveau.

« Enfin », murmura-t-elle, ses orbites vides contemplant la douce joue de l’enfant. « Enfin », répéta-t-elle,  tandis que ses doigts visqueux caressaient le torse encore tendre sous les vêtements déchirés.  « Me voilà libre », finit-elle par siffler. Et ses dents effleurèrent la nuque veloutée du garçon.

Celui-ci trembla. De grosses larmes se mirent à couler le long de son visage, mais il savait que la créature n’aurait aucune pitié. Réunissant tout son courage, il demanda finalement, d’une voix tremblante. «Tiendrez-vous votre promesse ? Mon père. Lèverez-vous sa malédiction »

« Mais bien sûr, enfant », répondit aussitôt la sirène. « Les êtres des mers tiennent toujours leurs paroles. Et parce que tu m’as bien servi, je t’accorderai une mort douce ».

Alors, rapide comme la foudre, elle resserra sa prise autour du corps de l’enfant et le précipita dans l’eau. Puis, longtemps après que le dernier souffle de vie se soit échappé de ses poumons, elle le retourna et arracha ses deux yeux. Elle les revendiqua comme siens et combla avec les trous béants de ses orbites.
Ensuite elle partit, empruntant les chemins secrets que seules connaissent les sirènes. Au fond du puits,  le corps sans vie empoisonna l’eau. Et dans sa ferme tombant en ruine, un vieil homme resta seul, dépossédé de sa vigne, de son puits, de son champ, et de ses enfants.