Histoire en noir et blanc XI

Comme un élastique trop tendu qui revient brusquement à sa place, le corps de la chanteuse se rabattit alors vers le détective. La douleur le transperça. Etouffant un cri, il se jeta de côté pour éviter un éventuel second coup. Son épaule heurta douloureusement le sol, mais il réussit à rouler sur lui même et se mettre à genoux. Il leva alors son bras tremblant pour remettre Molly en joue mais dû le rabaisser, incapable de l’empêcher de trembler. De la main gauche, il tâta son flanc. Du sang ruisselait d’une profonde entaille.
- C'est donc vrai que vous êtes faibles devant les jolies femmes, ricana la chanteuse, ses ciseaux rougis encore à la main. Elle repoussa en arrière les quelques mèches sombres tombées sur ses épaules et toisa froidement Dick.
- Je sais que vous ne me ferez rien, lança-t-elle. Je lui ressemble trop, n'est-ce pas ? A votre chère Inga.
Avec un clin d'œil complice, elle inclina la tête comme Inga l'aurait fait et lui sourit, de ce sourire un peu timide que Dick avait appris à faire naitre au fil du temps. Il sentit une sueur glacée perler à son front.
« Je vais vous dire... continua-t-elle en sortant un petit objet de sa poche ». On aurait dit une télécommande de télévision, avec, à un bout, un cornet de klaxon et à l'autre, une espèce de petite poche flasque. Dick se tassa sur lui même, et Molly se mit à rire. « Oui, vous avez bien deviné, c'est avec ça que je leur suce la moelle ». Elle déposa un léger baiser sur le cornet et s’avança vers lui tout en continuant à parler : « Je dois cependant vous avoue que je ne comptais pas l'utiliser de nouveau. Et encore moins sur vous ». Elle fit un nouveau sourire semblable à celui d'Inga et s’agenouilla devant lui.  « Je me demande ce qui se passera si je m'ajoute vos maigres capacités de détectives. Cette propension à l'alcool que vous avez, ça pourrait me ruiner le teint. Vous en êtes conscient ? »
Dick se ramassa encore un peu plus sur lui même. Le sang n'arrêtait pas de couler entre ses doigts. Des taches noires dansaient devant ses yeux. Ca sentait le roussi.
- Comment ? Croassa-t-il.
- Mais le plus simplement du monde, ricana Molly. Figurez-vous que dans les bas fonds est apparu récemment un archétype qui se faisait appeler Maître Voodoo. Un peu prétentieux comme nom, certes, mais il possédait cette combinaison que j'attendais depuis si longtemps. Les Sciences Occultes et l'amour des machines. Vous imaginez ? Il n'aimait rien de plus que de bricoler avec des écrous et des boulons tout en récitant des incantations. Une belle aberration.
Molly pressa l’étrange instrument contre le corps de Dick. Même à travers ses vêtements, il sentit le cercle froid du cornet peser contre sa poitrine.
- Il n'a même pas compris ce que je comptais en faire, susurra Molly, des éclats de rire dans sa voix. Encore un archétype bancal. Son auteur l'avait fait brillant seulement pour créer. Il était incapable de comprendre le monde
Elle repoussa sa tête en arrière pour rire pleinement.
- Et maintenant vous devez mourir, mon pauvre M. Burman, c'est la règle. Le détective trop curieux et trop faible devant les femmes n'arrive jamais à la fin de l'histoire.
Son rire fut couvert par le bruit de la détonation. Incapable de le tenir davantage, la main de Dick lâcha le révolver qui roula au sol.
Le détective resta encore quelques minutes assis, à contempler le trou dans la poitrine de la chanteuse tandis qu’il cherchait son souffle. Puis, tant bien que mal, il se releva, attrapa le suceur d'âmes dans les mains encore chaudes de la chanteuse, et tira sur ce qu'il restait de sa clope. Ensuite, il récupéra son arme et la rangea dans sa poche avec la machine infernale. Puis s'éloigna vers la porte, la main gauche toujours crispée sur son côté gauche. La blessure était impressionnante, mais pas si grave. C'était toujours comme ça. Molly avait eu tord de penser que cela suffirait à l'immobiliser. Comme elle s'était trompé en imaginant qu'il ne pouvait rien contre elle car elle était une femme. C'était peut-être le seul avantage d'être un archétype bancal créé par des imbéciles incapables de penser par eux même, se dit tristement Dick. Il y avait tellement de flous et de contradictions dans la définition de ses traits qu'il pouvait improviser.
Au bout du couloir miteux, il y avait la rue, humide et puante, où les premiers rayons de soleil éclairaient des tas fumants d'ordure. Dick eut un sourire sans joie. Maintenant, il pouvait aller voir Widjet. Et peut-être que d'ici deux ou trois jours, quand il aurait dessaoulé, il appellerait IronHelm pour lui expliquer.